Secteur AB-41 / Planète MEN-424 / Station d’extraction minière abandonnée
18 février 2521 / 10h30
Tous étaient rassemblés en arc de cercle autour des douze tombes, le Capitaine face à eux, en « maître de cérémonie ».
L’hommage aux morts était un rituel dans la marine MUD.
Au regard des circonstances exceptionnelles que vivaient son équipage, LE CALALOU en avait fait un rendez-vous hebdomadaire.
Sur la forme, la cérémonie funèbre respectait le même canevas, de semaine en semaine.
La mise en exergue des qualités humaines et professionnelles de chacun était récurrente, mais le rappel de leurs principaux faits d’armes évoluait, en fonction des souvenirs et de l’humeur du moment.
En fin de cérémonie, il s’attachait aussi à relater les détails d’un moment de vie qu’il avait lui-même partagé avec le défunt.
L’exercice était délicat.
Le Capitaine avait du mal à jauger l’impact de ses paroles sur son auditoire.
En effet, le « cimetière » se trouvait à l’extérieur du Biodome, et tous étaient donc revêtus de leur combinaison à air recyclé.
Selon l’angle de vue, la luminosité ambiante reflétait des éclats sur la bulle transparente du casque de chacun.
Ainsi, LE CALALOU, habituellement doué pour traduire les expressions de visage de ses interlocuteurs, se retrouvait particulièrement démuni.
De plus, la communication se faisant par radio, l’absence d’interaction visuelle accentuait l’impression d’un long monologue.
« JOSS était le dernier membre à avoir rejoint notre équipage, quarante-huit heures avant notre crash sur cette station d’extraction minière.
Son affectation chez nous lors de notre ravitaillement sur la STARBASE AB-43, avait fait des jaloux.
En effet, beaucoup avaient argué qu’un gabarit aussi imposant avait plutôt sa place dans l’infanterie, et non dans la marine.
Je n’oublierai jamais la tête de SATHO, quand il l’a vu soulever un X4 à mains nues, au prétexte que le palan était en panne…
En tant que Contremaître de Hangar, JOSS nous a tous impressionné par sa capacité à faire entrer toujours plus de vaisseaux que la taille des hangars ne le permettait.
J’en veux pour preuve la visite de contrôle à laquelle nous avons été soumis par le Commandant de la Logistique de la STARBASE, avant notre départ en mission.
Avant de le constater de ses propres yeux, il n’avait pas pu croire qu’on puisse faire entrer 30 vaisseaux X5 dans le hangar prévu pour 20.
JOSS, ton courage et ton abnégation ont fait honneur à la MARINE MUD.
Ton souvenir restera gravé à jamais dans nos mémoires. »
Ces derniers mots, prononcés mécaniquement, firent remonter à l’esprit du Capitaine, le souvenir du calvaire des dernières heures de l’embuscade…
Quand il avait finalement ordonné à son Pilote de mettre le cap sur la planète MEN-424, VRIZARD, détournant exceptionnellement la tête de ses écrans de contrôle, l’avait regardé en fronçant les sourcils, l’air de dire :
— T’es vraiment sûr de c’que tu fais là ?
L’air ébahi, PETITNUAGE, son Copilote, était même allé jusqu’à ouvrir la bouche.
Mais aucun son n’en était sortit.
La confiance indéfectible qu’il avait envers son Capitaine l’avait empêché de remettre en question l’ordre reçu.
Il s’était aussitôt replongé dans ses moniteurs de gestion de puissance moteurs, dont les messages d’alerte, rouge écarlate, envahissaient la quasi-totalité de ses écrans.
NONO analysait en temps réel les données de ses multiples radars, s’assurant qu’ils n’étaient plus pris en chasse par la flotte ONI.
Il s’efforçait difficilement de contenir ses émotions, et à ne pas regarder vers le siège de gauche.
Dans son champ de vision périphérique, il distinguait la silhouette de FROZEN, son mentor et ami, affalée sur son pupitre de détection.
Il avait été tué net par un tir de canon ONI, qui avait inexplicablement réussi à traverser la verrière panoramique du C9.
MAX, qui indiquait aux Pilotes les trajectoires optimales au travers des champs d’astéroïdes, avait discrètement rentré le nom « MEN-424 » dans sa base de donnée, afin d’en déterminer les spécificités.
— Pesanteur : + 16%. Mouais, on risque d’avoir les jambes lourdes.
Oxygène dans l’atmosphère : +30% ! Waouh ! Pas besoin de Tufaïne pour voir des éléphants roses !
Lorsque LE CALALOU avait donné les coordonnées de cette planète, il savait déjà qu’il avait perdu la moitié de ses hommes.
Sa combinaison possédait sur la manche gauche un écran paramétrable, qui lui donnait accès en lecture, à quasiment tous les programmes, logiciels et puces, en fonctionnement à bord de son C9.
Avant chaque combat, il se connectait sur l’application qui gérait les puces médicales des combinaisons de vol de tout son équipage.
Ces dernières enregistraient et diffusaient en temps réel les constantes de leur porteur.
Par souci de discrétion, il avait paramétré les alertes via vibreur.
Une série de trois vibrations très rapprochées signifiait un électrocardiogramme plat, la mort d’un de ses hommes.
Et ce jour-là, en l’espace de trois-quart d’heure, son avant-bras avait vibré neuf fois.
Cet épisode l’avait bouleversé, mais il n’en avait rien laissé paraître, conscient que chacun de ses choix aurait eu une incidence immédiate sur leur chance de survie.
— Humm humm !
Un raclement de gorge sortit LE CALALOU de ses pensées.
Reprenant ses esprits, il distingua JU qui tapotait discrètement son poignet.
Instinctivement, le Capitaine regarda l’écran sur sa manche, et vit l’indicateur du taux d’oxygène de sa combinaison passer de l’orange au rouge.
Ils retournèrent rapidement sous le Biodome, et chacun alla vaquer à ses occupations, après avoir mis en recharge leur appareil respiratoire.
Après avoir passé en revue les derniers billets d’informations relayés par la planète MEN-426, LE CALALOU se dirigea vers le réfectoire, tablette à la main, avec l’intention de se relaxer.
Il avait reçu le bulletin immobilier hebdomadaire de la CSS MUD.
Agent immobilier avant la guerre de factions, il prenait toujours plaisir à étudier l’évolution des prix , et à traquer les bonnes affaires.
— Même un jeune officier tout droit sorti d’école aurait senti le piège !
Cette phrase, prononcée par un de ses hommes dans le réfectoire, lui fit lever les yeux de sa tablette.
Attablé avec PALETA et SATHO, c’était DIAMOND qui semblait animer la discussion.
— Ils avaient déjà fait le coup aux USTURs l’année passée dans la zone du Centaure, poursuivit-il.
— Et c’est pas comme si l’État-Major ne l’avaient pas prévenu en plus ! renchérit SATHO.
L’oraison funèbre de ce matin semblait avoir ravivé chez son équipage, les traumatismes de leur dernier combat, celui qui les avaient conduits à s’échouer sur cette station d’extraction minière.
C’est pourtant vrai que la décision tactique du Commandant de Zone avait été totalement incohérente.
Pourtant, l’ambiance du briefing n’avait pas laissé présager une telle issue.
Tous les Capitaines de vaisseaux CAPITAUX avaient été réunis dans l’immense salle de commandement du C11 de leur Commandant de Zone, six heures avant le lancement de ce qui devait-être, la dernière offensive dans la galaxie ORION.
Celle-ci, située stratégiquement à l’intersection des trois grandes zones d’influences du moment, avait été farouchement défendue ce dernier mois par les trois grandes factions : MUD, ONI et USTUR.
Les dix jours précédents cette attaque, les USTURs campaient sur leur position, à l’extérieur de la galaxie. De récents revers militaires les avaient contraint à renforcer leurs positions à l’intérieur de leur zone d’influence.
De plus, leurs routes de réapprovisionnement avaient été précédemment perturbées par des attaques répétées de flottes JORVIK.
Ils avaient donc dû réallouer des forces à la protection de leurs convois.
C’étaient donc les troupes ONI qui représentaient la plus grosse menace du moment.
Et justement, les derniers rapports avaient révélé que le gros des flottes ONI s’étaient retirées des trois dernières planètes de la galaxie tant disputée !
Le Commandant de Zone, plutôt que d’y déceler une manœuvre suspecte, avait jugé que c’était le moment opportun pour engager toutes ses forces dans ce qu’il pensait être la dernière bataille.
Plusieurs Capitaines, dont LE CALALOU, avaient fait part de leurs réserves quant à la stratégie adoptée.
Mais rien n’y avait fait.
Pendant des semaines, il avait mis cette décision précipitée sur le compte de l’empressement à terminer cette coûteuse bataille.
Mais aujourd’hui, grâce entres autres aux observations récentes de ses deux Opérateurs Radars, la piste de l’imprudence semblait s’orienter vers le sentier de la trahison…